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Travailler en SCOP : Cas du Court-Circuit Bar/Resto à Lyon

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Avez-vous déjà entendu parler des  entreprises sous statut SCOP ? Si oui avez-vous déjà pensé à travailler dans une telle structure ?  quoi qu’il en soit,  nous allons à la découverte  d’un cas concret, une entreprise sous le statut SCOP qui a bien voulu nous  ouvrir ses portes et nous raconter son quotidien, le restaurant bar COURT CIRCUIT A LYON.

SCOP KEZAKO ?

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Une SCOP est une Société Coopérative et Participative.  Concrètement c’est une entreprise, dont le but est de faire du profit comme les autres, mais dont la gestion se mène de façon démocratique (un salarié, une voie), où les revenus dégagés sont prioritairement affectés à la pérennité des emplois et de l’entreprise elle-même.

Juridiquement, le statut SCOP est  une société dont les salariés sont actionnaires majoritaires.

Il existe sous la même forme, les SCIC société coopérative à intérêt collectif.

PETITE HISTOIRE DE LA COOPÉRATION

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’idée d’une entreprise ou les salariés sont les principaux actionnaires, ou les décisions sont prises à l’unanimité et où toute l’activité a pour but principal de préserver les employés et l’entreprise, ne date pas d’hier.

On trouve l’origine de la coopération au moyen âge déjà, dans les guildes, les compagnonnages, et autres confréries professionnelles. Mais l’idée des sociétés coopératives telles qu’on les conçoit aujourd’hui apparait avec l’industrialisation et l’apparition du syndicalisme au 19e siècle.

Comme souvent, c’est dans les années de crises que l’idée chemine et se perfectionne.

Dans les années 70 avec les nombreuses  fermetures d’usines et  dépôts de bilans qui secouent la France,  la société LIP, mène en 1973 l’une des premières expériences SCOP largement médiatisée.

Depuis, d’autres projets ont vu le jour bien sûr, et les SCOP s’affirment comme un des moyens de donner un autre sens au travail et à l’entreprise.

RESTAURANT /BAR COURT-CIRCUIT, EXEMPLE DE SCOP A LYON

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Pour sortir un peu de la théorie, nous avons voulu avoir une idée concrète de ce qu’est le travail dans une SCOP au quotidien. Le restaurant bar  court-circuit à bien voulu nous ouvrir ses portes et répondre à nos questions.

Le projet d’entreprise à vue le jour en 2010, à l’initiative de quatre personnes, qui avaient l’idée de dynamiser la vie de quartier par l’activité économique, avec une volonté dès le départ d’opter pour l’autogestion, donc le statut SCOP.

C’est un établissement situé au 13 rue Jangot  Lyon 7e  dans le quartier Guillotière, qui sert des repas le midi et le soir,  fait débit de boisson en continu, entre 9h et 1h du matin, du lundi au vendredi, et le samedi de 14h à 1h. C’est aussi un lieu de socialisation pour les habitants du quartier, concerts et expositions y sont régulièrement programmés.

Aujourd’hui, l’établissement compte 11 salariés, rien de notable lorsqu’on y arrive, on est dans un bar –restaurant comme les autres, le barman est occupé à servir des verres aux clients qui font la queue, un cuisinier s’affaire à la cuisine et une serveuse  gère la salle.

C’est Félix, un des salariés qui nous accueille il fait partie de la commission coopération qui gère les relations extérieurs du Court-Circuit.

LE STATUT SCOP PEUT PRENDRE DIVERS VISAGES

Felix sent notre enthousiasme, pour ne pas généraliser, il préfère donner quelques précisions :

« Soyons claires, SCOP c’est d’abord un statut d’entreprise, certes  selon la loi, les salariés doivent être actionnaires majoritaires et statutairement, si l’entreprise fait des bénéfices, alors 50% sont automatiquement mis en réserve pour assurer sa pérennité.
Mais il n’y as pas d’exigence légale en matière de distribution des  50%  restant. Rien n’empêche de faire une entreprise ou 3 personnes sur cent sont actionnaires majoritaires, ou on achète en chine des produit faits dans des conditions très douteuses très peu chers,  pour les vendre une fortune en France »

En effet, le statut SCOP est une base qui permet d’orienter globalement l’organisation et la gestion d’une entreprise à visée participative, mais une grande place est laissée aux administrateurs pour aller plus ou moins loin dans cet engagement.  Le mode de fonctionnement peut donc varier selon les SCOP,  notamment par la répartition des pouvoirs et des ressources,  qui peut modifier grandement le caractère collectiviste des entreprises même si elles sont sous le même statut.

QUI SONT LES SALARIES DU COURT CIRCUIT ?

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La question est alors de savoir quel est le profil des salariés de l’entreprise et la motivation qui les incitent à se tourner vers un emploi dans une entreprise coopérative et comment ils sont recrutés.

« Les profils sont très divers,  il y a des gens qui sont venu à la SCOP en connaissance de cause, d’autres seulement parce qu’ils cherchaient un emploi. Quand on ouvre un poste, on a énormément de candidatures, et on privilégie les profils de personnes qui ont déjà travaillé  dans des entreprises  traditionnelles, qui sauront percevoir la différence concrète entre  SCOP et entreprise classique.

Felix à un profil atypique, ingénieur de formation, titulaire d’un Master en sciences politiques, il a travaillé au ministère de l’écologie.  Goûter à  la rigidité et la hiérarchie pyramidale des grosses machines que peuvent être ces structures, l’as convaincu de se tourner vers un emploi en SCOP.

« Pour moi c’est vraiment une autre façon de travailler, c’est très horizontal comme fonctionnement, il n’y a pas d’hiérarchie, ça donne une sacrée capacité à mettre en œuvre les choses.  Puis c’est un acte politique aussi, une autre façon de faire de l’économie »

COMMENT CA FONCTIONNE AU QUOTIDIEN ?

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Le COURT-CIRCUIT on l’aura compris ne se limite pas au statut SCOP,  une charte interne vient compléter le statut et exige qu’à termes chaque salarié devienne actionnaire.

Refuser de devenir actionnaire peut être un motif de licenciement,  des 11 salariés actuellement employés par l’entreprise,  seul trois ne sont pas encore actionnaires, parce qu’ils sont arrivés récemment.

à l »exception de métiers qui nécessitent des compétences très spécifiques comme celui de cuisinier ou comptable, l’ensemble des salariés est  à la même enseigne, embauché comme employés polyvalents.

L’entreprise finance 2h de réunion d’équipe par semaine, soit 22h au total. C’est un vrai parti pris, car c’est plus d’un mi-temps qui n’est pas directement productif, consacré au bon fonctionnement et à l’organisation saine du planning,  du développement de l’activité et du débat démocratique lié à la gouvernance.

Chaque salarié a aussi une partie de son temps de travail hebdomadaire (entre 4h et 6h) qui n’est pas du service ou de la cuisine et qui est consacré aux autres aspects de gestion de l’entreprise (achats, ressources humaines, programmation, relations avec les partenaires…). Deux cogérants sont élus pour représenter juridiquement l’entreprise, pour une durée de quatre ans.

« Tout est transparent, dit Félix, je peux aller voir  sur un espace virtuel tous les documents de l’entreprise, les fiches formations, les fiches de paye, les documents comptables, les rapports d’assemblée générale, après on ne peut pas s’investir à fond dans tous, et puis il ne faut pas qu’une personne soit irremplaçable.  On a des commissions, je fais partie de la commission coopération, et je suis payé par exemple à parler avec vous en ce moment, ça permet de faire un travail autre que servir des bières ou des repas, des taches un peu plus intellectuelles »

Les produits, que ce soit les boissons ou les aliments vendues, sont approvisionnés en circuit court, chez des producteur locaux, avec une certaines charte éthique sur les rapports qui lient l’entreprise à ses fournisseurs ce qui la aussi est un engagement supplémentaire par rapport au statut SCOP.

«Nous on veut payer correctement nos fournisseurs, ne pas faire pression sur leurs prix, parce qu’ils font de bons produits avec des démarches vertueuses (bio, local artisanal). On paie leurs produits au prix juste parce que ce sont des produits de qualité, et ce n’est pas forcément plus cher que d’aller chez métro. On veut aussi que les prix de vente restent abordables pour ne pas devenir un établissement de luxe et rester accessible à tous. Et on souhaite aussi se payer correctement, nous les salariés, en payant toutes les heures travaillées, notamment les heures supplémentaires (on est à 35h semaine) ce qui est rare dans le secteur de la restauration. C’est un peu « le triptyque du COURT CIRCUIT » »
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LA SANTE DE L’ENTREPRISE

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Des quatre fondateurs à l’origine du COURT CIRCUIT, il ne reste plus qu’une personne, qui ne fait pas de service, mais s’occupe de la comptabilité. Tout le reste de l’équipe est là depuis moins de trois ans.

L’entreprise se porte bien, son chiffre d’affaire est croissant chaque année depuis sa création, elle dégage même un peu de bénéfice. La SCOP reste une entreprise qui doit créer de la richesse et payer des salaires, les coactionnaires du COURT CIRCUIT en sont bien conscients.

La réussite du projet et les envies des uns et des autres, a permis à des salariés de quitter le Court-Circuit et de monter une autre entreprise en SCOP à Villeurbanne, un bar restaurant qui s’appelle le Bieristan. Les deux établissements sont indépendants, emploient aujourd’hui 25 salariés en tout, et sont en bonne santé économique.

« La priorité pour nous est de payer des salaires, de maintenir la structure à flot, nous avons décidé unanimement de réinvestir les bénéfices dans l’entreprise, il peut arriver qu’il y ai distribution mais c’est négligeable au vu du travail accompli. Les actionnaires qui ne sont pas salariés, c’est-à-dire des personnes qui ont injecté de l’argent dans le projet à ses débuts, ne reçoivent pas de dividendes, ils sont remboursés tout simplement, c’était décidé comme ça à la base ».

LE DROIT DU TRAVAIL, LA FISCALITÉ ET LA REPRÉSENTATIVITÉ SYNDICALE

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Dans un contexte de travail ou la coopération est le maître mot, ou les employés sont aussi des entrepreneurs, on se demande le rapport qui se crée avec le droit du travail. Félix nous répond avec ses deux casquettes :

« Fiscalement il n’y a pas vraiment de différence, entre une SCOP et une SARL, la seule notable est que si on atteint un certain niveau de réserve d’argent, on ne paye pas d’impôt sur les sociétés. Mais en tant que salarié et entrepreneur, je me sens à l’aise avec le code du travail et les 35h ; je suis protégé en tant que salarié et je n’ai pas l’impression d’être handicapé en tant que entrepreneur ou actionnaire. On va être limité plus par la réglementation et les normes qui sont très strictes dans notre métier d’accueil et de restauration (délimitation de la terrasse, réglementation sur le bruit, heures de fermeture, affichage réglementaire…), et qui vont parfois appliquer à une petite structure comme la nôtre des normes qui ne correspondent pas toujours à l’activité, et là ça peut être contraignant.

Quant à la représentativité syndicale, on as pas atteint les effectif pour y être soumis mais rien ne l’empêche Comme on est dans un cadre particulier, sans patron et sans subalternes, les rapports de pouvoir ne sont pas les mêmes que dans une entreprise classique. Cependant, le statut de SCOP n’empêche pas de façon magique le mal être au travail, ou les relations parfois tendues dans un collectif de 11 personnes… On fait très attention à ça et à nos conditions de travail avec des temps d’échange collectifs ou individuels entre salariés et/ou avec les gérants »

LES PROJETS A VENIR /DÉVELOPPEMENT

« Sur la question du développement, l’idée jusqu’ici était d’optimiser au maximum l’exploitation du lieu, notamment en augmentant le nombre de clients. Aujourd’hui on arrive au bout de cette logique, parce qu’on est plein tout le temps, on est plus sur une réflexion de diversification. Par exemple il y a deux ans on a lancé les burgers végétariens pendant le service du soir, ça a permis de rajouter des heures de travail, et d’augmenter l’activité, mais on reste à taille humaine, on ne veut pas travailler le dimanche par exemple, même si beaucoup de clients voudraient qu’on ouvre pour faire un brunch le matin ».

LE STATUT SCOP, UN OUTIL MODULABLE.

On adopte le statut SCOP pour entreprendre et travailler autrement, mais le statut n’est pas tout, la volonté et les motivations des hommes et des femmes qui font l’entreprise est ce qui définit clairement l’identité de la structure.  C’est en tout cas un des principaux moyens pour libérer le travail salarié, donner l’opportunité à chacun d’avoir des taches intéressantes, variées et de se sentir appartenir à une aventure, être maître de son destin.

POUR ALLER PLUS LOIN

http://www.le-court-circuit.fr/

http://www.bieristan.fr/

Mythe et réalité autour de la Scop

Le statut SCOP en question